A propos des kazu uchi mono 数打物
Il s’agit des productions en grande quantité réalisées pendant le milieu de la période Muromachi (1467-1554), principalement en Bizen mais aussi dans d’autres contrées.
Des ateliers ont été fondés sous la responsabilité d’un maître forgeron et des employés travaillaient selon le système de la Taylorisation, avant l’âge de ces techniques de production.

Une grande quantité de sabres ont donc été produits pour répondre au besoin urgent en armes mais aussi pour l'exportation vers la Chine au cours de cette période où le Japon est entré dans l'ère des guerres civiles (
戦国時代 Sengoku jidai).
Les forgerons d’Osafune dans la province de Bizen furent les principaux producteurs de kazu uchi mono. Le terme « Taba gatana » a également été employé dans un document rédigé à la fin de la période Sengoku, pour qualifier ces armes. Ce terme a le même sens que kazu uchi mono, mais n’est plus utilisé de nos jours. La province de Yamato et la ville de Seki en Mino se sont également engagées dans des productions de masse.
Ces lames présentent une qualité inférieure à celle des œuvres produites individuellement, même si elles présentent des caractéristiques en référence aux travaux de cette époque dans ces provinces.
Il ne faut pas oublier que dans cette même espace de temps d’excellentes œuvres ont été fabriquées, la plupart sur commande (chumon uchi
注文打ち) ou portant souvent le nom personnel du forgeron (zoku mei 俗名銘 ).

Cette période de guerre est une période de transition qui va voir disparaître les gokaden dans leurs caractéristiques fondamentales et la suprématie de l’école Mino qui dans sa diaspora à la fin Muromachi / Momoyama donnera naissance à l’époque Shinto.

Au 16ème siècle, les forgerons japonais mélangent les traditions, curieusement on voit du ko nie deki en Bizen avec des hada qui de temps en temps sont en itame, itame nagareru, voir de temps en temps du Masame. En Soshû, on voit disparaître le célèbre nie et l’apparition du nioi. Le nie apparaît aussi dans la tradition Mino, retour au source ….
L’école Mino est probablement à cette époque le précurseur/créateur du taylorisme. On ne parle plus d’un forgeron, mais d’une forge où se trouvent des forgerons qui se voient attribuer chacun des tâches précises. C’est du Henri Ford avant la lettre et cette façon de procéder a amené ce jugement sur ces lames (j’interprète un peu) : ce sont des lames sans génie mais fiables qui ne se cassent pas, ne se tordent pas et coupent.

Les kazu uchi mono sont indissociables de Bizen et de Mino. Pour Mino, il faut juger lames en main, il y a de tout et pas de signature distinctive pouvant donner une indication sur la qualité de fabrication, comme les Sukesada, Tadamitsu, Harumitsu en Bizen, il y a des lignées de forgeron en Mino, les Kanemoto, Kanesada, Kanefusa, Ujifusa. Les forgerons sont cooptés par leurs pairs, ils rentrent dans une école et adoptent le nom du fondateur.

Bizen est célèbre pour les signatures telles que celles-ci :

Précision : le Kanji
se lit souvent « koku » (note : « kuni » est la prononciation japonaise nommée « kun », « koku » est la prononciation « on » d’origine chinoise).

Kazu uchi mono :

Bishû Osafune no ju Sukesada saku
備州長船住祐定作
Bishû Osafune Sukesada
備州長船祐定

Ces lames de temps en temps portent aussi un nengo

Précautions : ces lames avec de telles signatures sont à 90% des Kazu uchi mono mais il y a des exceptions et il faut juger lame en main, le pourcentage peut diminuer si ces lames portent un nengo.

Lames de qualité :

Ce sont des lames dont la signature est longue reprenant le nom personnel du forgeron, ayant un nengo :

Bizen kuni no ju Osafune Yosozaemon no Jô Sukesada saku
備前國住長船与左衛門尉祐定作

J’attire votre attention sur la syntaxe du début de signature de ces lames de qualités :
備前國住長船 Bizen koku no jû Osafune …….

Le kanji « Jû
» doit toujours être avant Osafune. On pourrait dire en français que c’est une faute de syntaxe, mais c’est la caractéristique des signatures authentiques des lames de qualité Bizen.

Si sur une lame sue Koto Bizen vous voyez la syntaxe :

備前國長船住 Bizen koku Osafune jû avec le kanji « jû » après Osafune, fuyez !!!! À 99% c’est un gi mei.

Si un sue Bizen katana a une gorge d’époque, quelle que soit la signature, il est probable que vous ayez affaire à une lame de qualité, même si le mei commence par Bishû Osafune.

Les niji mei peuvent être de bonnes lames, la lignée Tadamitsu est une habituée de ce style de signature.

Toutes les lames dont la signature commence par Bizen koku no jû Osafune ne sont pas forcément soshin, c’est vrai mais par opposition, toutes les lames de qualité sue Bizen commencent par cette signature.

Un des traits de cette époque est qu’il a vu disparaître l’utsuri des lames Bizen, l’utsuri revêt énormément de formes différentes, il peut être en nie, en nioi, diffus. On ne peut pas lier la disparition de l’utsuri Bizen à l’apparition de lame en ko nie deki puisque l’utsuri disparaît même des lames en nioi deki. On retrouve pratiquement de l’utsuri de façon constante que dans la lignée Tadamitsu avec du bô-utsuri.

Il est probable que l’apparition des kazu uchi mono, des nouveaux procédés de production et d’une nouvelle époque ont progressivement amené cette disparition de l’utsuri, celui-ci étant passé de mode.

Caractéristiques de kazu uchi mono :

Suguta : ressemble aux lames Oei mais avec une tendance à s'effiler dans la partie supérieure (bref, comme les lames de l'époque, cela n'aide pas trop)

Nagasa : ces lames suivent la tendance du moment, elles ont un nagasa d'environ 65 cm au début des guerres Onin, ère des katate uchi, pour passer à environ à 70 cm, avec un nakago plus long dans les années 1520.

Hamon : même chose, il suit la tendance du moment, Koshi no Hiraita, pinces de crabes

Hada : c'est là que l'on est plus aptes à voir la différence. Les lames de qualité ont un acier très raffiné avec de temps en temps un très fin ji nie, une impression de velours. Les kazu uchi mono, ont, de part l'emploi à l'économie de Tamagane, une peau fine qui après quelques polissages révèlent le shingane, aspect terne du métal avec faux utsuri, hada pouvant être en masame et en général grossier.

Boshi : celui-ci est souvent différent des deux côtés (mais une fois de plus ce n'est pas obligatoire).

L'impression générale se dégageant de ces lames qui sont parvenues jusqu'à nous à l'heure actuelle est celle d'un travail vite fait ou de lame ayant beaucoup souffert.

Tout se juge évidemment lame en main, pour mémoire, il existe une lame "Bishû Osafune Sukesada" Juyo Token ...

Néanmoins, ayons un peu d'indulgence pour ces lames car qui peut se vanter d'avoir vu en France des dizaines de lames datant de la bataille de Marignan.


A propos de l’utsuri :

Sato Kanzan sensei dit que les hautes températures de trempe aboutissant à de forts nie nuisent à la formation de l'utsuri et par conséquent sur les lames en Sôshû den telles que celle de Hiromitsu, Hiromasa, Fusamune... il ne pourrait y avoir d'utsuri. Ceci étant, avant ces forgerons, les ara nie ne sont pas présents même s’il y a des nie en abondance, alors pourquoi pas un utsuri en Soshû, comme le suggère Kokan Nagayama, bien que je n'en ai pas d'exemples précis en tête. Quoiqu'il en soit, les lames avec de très nombreux ara nie ne sont pas réputées comme les meilleures (J’ai vu une lame sue Sôshû de ce type avec un hagire sans doute du à des contraintes trop importantes lors de la trempe rendant l'acier cassant).

Je crois qu'il faut aussi bien différencier les utsuri "volontaires" de ceux plus hasardeux tels que shirake utsuri. 

Sato Kanzan sensei dit que les lames avec un fort nie (en donnant pour exemple Sukesada, Katsumitsu ou Kiyomitsu) ne contiennent pas toujours un utsuri. Il ne dit pas jamais. Il parle par contre de l'importance du ji nie dans ce phénomène. Peut-être pouvons-nous penser que les méthodes de trempe ont évoluées avec l'utilisation d'un choc thermique différent laissant une grande place au ji nie. J'aurai tendance à penser (avec toute la réserve que cela impose) qu'il faut différencier ha (contenant de nombreux nie ou moins) de ji, puisqu'il est question de températures dans cette action. Il faut se rappeler que le nie utsuri existe (pour contredire les affirmations hâtives). Les exemples que j'ai vu montrant des nie importants dans ces deux zones ne contiennent pas l'utsuri, à plus forte raison nioi utsuri.
Je suis persuadé que la mode a pu affecterla production de l'utsuri en Bizen et d'une certaine façon dans d'autres écoles. Le passage du midare utsuri au bô utsuri en est sans doute un exemple. Le fait de penser que la forge kazu uchi mono y est pour quelque chose est fort probable. L'influence et le rayonnement du Soshû den a aussi jouer un rôle dans ces façon de faire avec l'influence du Sôden Bizen (Motoshige, Chôgi). 

Par ailleurs, il est fort possible que la texture du jigane par le kitae intervienne dans ce phénomène, un kitae large ne sera sans doute moins favorable, par exemple l'école Omiya où le o hada rend difficile l'apparition d'un utsuri clairement visible (bien qu'existant).

En conclusion, je pense sans en être sûr qu'on peut résumer les choses de cette manière, en sachant que d'autres paramètres interviennent :

- hamon en nioideki, ji nie fin : utsuri possible (Ichimonji, Yoshii par exemple)
- hamon en niedeki et ji nie moyen: utsuri possible (Rai par exemple)
- hamon en niedeki, ji avec fort et importants ji nie : utsuri plus rare (Nobukuni, par exemple)

En partant du principe que ça se rapporte davantage à la taille des nie dans le ji qu'à la densité, et que les processus de formation de ara nie mènent à une impossibilité.
Par ailleurs, ce qu'on peut constater c'est que la présence de chikei n'est pas du tout incompatible avec un utsuri (Ko Bizen par exemple).

Si maîtrisé, l'utsuri n’est pas systématique mais il est présent parce que désiré par l'artiste. A ce sujet, il existe une lame de Kanewaka en Kaga avec un bel utsuri. Cette lame a été forgée afin de prouver que l'absence d'utsuri dans ses oeuvres était un choix.

Jean Laparra, Serge Degore