L'ESTHETIQUE DES TSUBA

 

Il nous est apparu intéressant (voire marrant) d'aborder une tsuba selon deux angles différents.
- La partie technique que je  laisse volontiers aux grands amateurs, vue  mes connaissances des tsuba....
- Une approche esthétique et analytique du motif dont cet article traite.

Il s'agit d'une tsuba de l'école de Nara.  La voici :



D'emblée, c'est ma perception, je constate un motif agréable à regarder et un équilibre général bien posé. Je me suis donc livré à une petite étude analytique en lien avec les beaux arts.
Voici ce que ça donne  :
 


Concernant le motif essentiel il rentre dans un rectangle d'or parfait correspondant à la largeur de la tsuba. ce qui est intéressant c'est qu'il s'incrit dans ce rectangle dans la partie correspondant a la moitié de la hauteur du rectangle vertical augmentée de la dimension de sa diagonale (vous suivez
). Une application parfaite de ce nombre d'or. En poursuivant l'analyse, nous nous apercevons que le motif s'inscrit dans la partie basse définie par la diagonale de ce deuxième rectangle  ....

Cette composition permet de donner un rythme à la composition et de l'inscrire sur un point de fuite, permettant au regard de "rentrer" dans le paysage.

Ce n'est pas tout, regardez cette autre image, sur laquelle j'ai tracé un nouveau rectangle
:



Il est pratiquement au nombre d'or lui aussi. on constate que la moitié de sa largeur tombe sur la base du nakago ana et la diagonale de celui du haut sur le sommet du nakago ana. Le motif de la montagne trouve de fait naturellement son emplacement au dessus de cette diagonale. Cette montagne s'inscrit elle-même dans un rectangle d'or, au dessous de la diagonale.




Analysons maintenant le motif en lui-même. 
Il est bâti sur une représentation très « asiatique » de l’univers. On peut différencier trois hauteurs dans le motif du bas qui, dans la symbolique, correspondent à ce qu’on appelle SHU, KYAKU, FUKU (représentant le ciel, la terre et l’homme, qu’on retrouve classiquement et de façon très codifiée, dans l’Ikebana, par exemple). L’arbre de droite s’élançant vers le haut peut-être perçu comme cette idée du ciel, les maisons sont la représentation de l’homme et la terre est signifiée par les promontoires de gauche. La montagne au loin peut être vue comme la symbolisation de la déité.

La difficulté à laquelle se heurte le tsubashi est sans doute la possibilité de pouvoir donner de la profondeur et une luminosité à une telle composition. Pour cela, une autre règle est respectée. il s'agit de la règle dite "des trois plans" (très utilisée par les peintres classiques), mettant en évidence le motif central au second plan, ici les maisons. La lumière, venant de la gauche (encore une reègle classique) est judicieusement marquée par les incrustations d'or placées de façon préférentielle sur ce côté sur les divers éléments. Le petit arbre à gauche, les touffes de l'arbre de droite, qui malgré les atteintes de la patine donnent une impression de petit matin.



Un cas d'école... Hasard??? Peut-être mais je ne crois pas. Peut être élucubration de ma part.  En tout cas, c'est ce qui fait que les tsuba de ce style peuvent être harmonieuses ou pas et la différence entre une oeuvre d'art et une m.....!!

Pour poursuivre plus loin sur ce genre de sujet, je vous propose de regarder de plus prés l'organisation des motifs sur les tsuba, dans la mesure où ils sont asymétriques et qu'ils ne se répartissent pas sur l'ensemble de la surface (exemple Namban, Hizen..).

Le katana, comme tout le monde le sait, était porté inséré dans la ceinture avec le tranchant vers le haut. la face de la tsuba était donc visible par les autres personnes. Cependant, la poignée du sabre étant plus ou moins orientée vers le centre du corps, les parties les plus visibles sont la partie droite, et inférieure et supérieure. Chose qu'on peut facilement observer sur cette photo du 19ème siècle.

Si on prend une garde et qu'on partage sa surface de cette façon  :

Les parties portant les n° 1 à 6 sont les plus accessibles à l'oeil d'une autre personne. Ce sont donc elles qui ont été utilisées en priorité pour recevoir le motif premier.
En voici quelques exemples  :

Le premier exemple, sur une tsuba mumei, la forme privilégie une utilisation de la surface droite renforcée par l'absence de kogai ana. L'exemple 2 est une tsuba de Iomori; l'artiste a privilégié les quartiers 2 à 6. Sur l'exemple 3, tsuba de Yoshikage, les quartiers 1 à6 sont utilisés avec un débordement sur le 8. On pourrait ainsi prendre de nombreux exemples pour s'apercevoir que le quarier 7 est plus rarement utilisé (je n'ai pas dit jamais) 

J'ai exemple intéressant d'une tsuba ou, si le quartier 8 n'est pas utilisé, la répartition des motifs est presque égalitaire dans les autres, posant la question de quel est l'élément central de la composition, l'arbre ou le singe ? Du coup, malgré la grande qualité d'exécution, les motifs semblent juxtaposés sans cohérence, jouant aux quatre coins avec les angles de la tsuba. La différence de technique utilisée pour les animaux et les plantes renforce encore cet effet.

C'est un point important que n'ont pas saisi les différents copieurs (chinois ou autres) qui n'hésitent pas à aller à l'encontre de ces quelques principes, voici pour exemple :



Le copieur a inversé les faces et a utilisé la face ura pour implanter le motif, en mettant du coup le sujet central à gauche (copie chinoise)


De plus en plus fort, la bonne face a été utilisée, mais le motif a la tête en bas par rapport au nakago ana (copie américaine).


La mauvaise face est utilisée, et pas les bons quartiers (copie chinoise).

Texte S. Degore, tous droits réservés.